600 projets déposés sur le World Pandemic Research Network
Initié par l’Institut d’études avancées de Paris et la fondation RFIEA, WPRN est le premier répertoire en temps réel et mondial, de recherches & ressources de recherche sur les impacts sociétaux et humains de la pandémie de Covid-19. Lancé fin avril 2020, il recense à ce jour 600 initiatives et projets de recherche issus du monde entier.
Interview
De Saadi Lahlou, directeur de l’IEA de Paris, et Olivier Bouin, directeur de la Fondation RFIEA, tous deux à l’initiative du World Pandemic Research Network.
Qu’est-ce que WPRN en quelques mots ?
WPRN est une plateforme interactive qui recense les recherches et ressources de recherche sur l’impact sociétal et humain de la pandémie de COVID-19. WPRN est transdisciplinaire mais s’adresse en priorité aux sciences humaines et sociales, qui montent en première ligne pour aider nos sociétés à affronter la vague de crise socio-économique qui en découle et préparer « le monde d’après ».
Comment est né WPRN ?
Début mars 2020, quelques jours avant les premiers confinements nationaux, Xiaobo Zhang, professeur d’économie à l’université de Pékin en Chine, donne à l’IEA de Paris une conférence sur les défis auxquels les entreprises chinoises ont été confrontées depuis le début de la pandémie, à partir d’une enquête menée le mois précédent sur 2 500 sociétés.
Le bénéfice pour l’Europe de ce partage d’expérience était évident pour anticiper et gérer la crise, et nous avons d’ailleurs immédiatement organisé une rencontre entre Zhang et la Mairie de Paris pour qu’elle tire parti des leçons de la gestion chinoise et transféré notamment à la présidence de la république les principales conclusions. La pandémie révélait brutalement à quel point notre destin était devenu mondialisé, combien une réponse globale était devenue indispensable. Comment partager l’expérience et les moyens, comment apprendre anticiper en tirant parti de ce qui se fait ailleurs sur la planète ? Comme le cas chinois le montrait, il fallait agir très vite pour se préparer au tsunami économique qui allait succéder à la crise sanitaire. Il allait falloir partager les recherches et les retours d’expérience, dépasser les nationalismes institutionnels et autres frontières pour faire jouer à plein la science ouverte et l’intelligence collective. Et déjà, commencer par savoir qui fait quoi, où.
L’idée de WPRN était née. Il y avait urgence à créer un "répertoire en temps réel" des projets de recherche et des ressources de recherche sur la crise qui va suivre le Covid-19 au niveau international. Il fallait un outil simple à utiliser, pour collaborer rapidement, sans en passer par les publications scientifiques qui supposent un délai de 3 mois à 2 ans entre le moment où elles sont produites et celui où elles sont visibles.
Les SHS manquent singulièrement d’outils pour la recherche collaborative, WPRN est là pour combler ce manque.
Quelle est est la valeur ajoutée d’un outil comme WPRN par rapport aux moteurs de recherche déjà existants ?
WPRN se distingue des autres initiatives par la robustesse de son infrastructure ancrée dans le cloud et parce qu’elle mobilise un réseau international et interdisciplinaire de "référents" qui trient les projets, apportant une édition scientifique de premier niveau. Les institutions partenaires vont en outre bientôt pouvoir marquer les projets du « blason » de leur autorité cognitive. Un moteur de recherche comme Google est incapable de faire un tri pertinent car il ne dispose ni d’une indexation structurée ni d’un système de tri entre le bon grain et l’ivraie.
Enfin la réactivité est cruciale : le montage rapide de collaborations internationales entre laboratoires de cultures et nature différentes nécessite de savoir qui est prêt à collaborer, qui a maintenant la compétence nécessaire.
WPRN permet tout cela : le partage des données, des questionnaires, des hypothèses en temps réel - tout en maintenant le système de propriété intellectuelle (authorship) de traçage et de responsabilité. Il crée les conditions d’une accélération de la "bonne" recherche et de l’émergence de nouveaux formats de recherche collaborative.
WPRN a-t-il une portée internationale ?
Initié par l’Institut d’études avancées de Paris et par le Réseau français des Instituts d’études avancées, WPRN a déjà reçu le soutien de l’Union Académique Internationale, qui fédère une centaine d’Académies en sciences humaines et sociales dans plus de 60 pays, des réseaux d’Instituts d’études avancées européen et mondial NETIAS et UBIAS, de la European Alliance for Social Sciences and Humanities (EASSH), de l’International Panel for Social Progress (IPSP) et de l’International Science Council. En France, WPRN a reçu le soutien du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de l'Alliance Athena, du CNRS et du réseau français des Maisons des Sciences de l’Homme. D’autres contacts sont en cours au niveau international et français.
Il est intéressant qu’une initiative européenne soit dans la course internationale ; nous sommes ici en avance comme le montrent les sollicitations que nous recevons pour participer à des projets Européens.
Par ce projet, les IEA, qui sont à la pointe de l’organisation scientifique de la recherche de demain, démontrent ainsi leur valeur ajoutée en complément aux Universités et autres grands organismes.
Combien de projets sont déjà enregistrés?
Près de deux mois après son lancement, plus de 430 projets et initiatives sont enregistrés dans la base wprn.org. Ce nombre croit de jour en jour. Non seulement wprn.org donne une vision aux communautés de recherche sur ce qui se passe et se fait dans le monde ; mais aussi constitue un formidable outil au service des décideurs, des journalistes, et bien d’autres acteurs de la société civile qui ont besoin d’avoir une vision à jour, internationale et prospective des problèmes sociaux et économiques liés à la crise. Les élus et les grandes administrations par exemple peuvent s’emparer de WPRN pour construire des politiques innovantes en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs.
Des tendances ressortent-elles déjà des projets enregistrés ?
Des études en cours examinent les ressorts du respect des mesures de sécurité par la population. Si sans surprise la conscience de la dangerosité du virus émerge comme un facteur important de respect de la distanciation sociale (https://wprn.org/item/433852), l’efficacité du recours à la norme sociale, instrument habituellement privilégié des behavioural scientists est remis en cause . Plusieurs études suggèrent que l’empathie et le souci d’autrui sont plus fortement corrélés avec le respect de la distanciation sociale (https://wprn.org/item/433252, https://wprn.org/item/431952), même dans les groupes les plus hostiles à ces mesures, qui peuvent cependant en percevoir l’intérêt pour leurs proches (https://wprn.org/item/434052).
L’enjeu semble donc pour les pouvoirs publics de favoriser chez les individus (en particulier chez les jeunes et ceux qui n’ont pas de co-morbidité, qui ont peu à craindre pour eux-mêmes) cette attention à autrui. Autrement dit demander aux citoyens de respecter les consignes pour épargner la vie des autres, et épargner la peine au corps médical, est un argument altruiste qui porte plus que l’appel à une sauvegarde égoïste.
Bien que ces travaux, effectués sur des populations américaine, anglaise et allemande, soient encore en attente de validation pour publication, ils ouvrent des perspectives intéressantes pour explorer immédiatement plus avant ces pistes prometteuses, et inspirer la conception des campagnes de santé publique. On remarque en passant que les campagnes françaises qui ont en grande partie adopté cette perspective trouvent ici une justification scientifique. Cette leçon est aussi à retenir pour les crises à venir : l’altruisme existe encore et peut être un moteur puissant dans les crises, n’en déplaise aux cyniques.
Il y a beaucoup d’autre choses à tirer de WPRN, mais nous allons publier régulièrement des notes et nous ne voudrions pas déflorer le sujet. Mais surtout nous encourageons chacun à aller explorer la base avec ses propres questions. L’interface de recherche par thèmes, disciplines, aires géographiques est très conviviale.
Quel avenir pour WPRN ?
La pandémie nous offre, dans un sens, la possibilité de tendre la main et de montrer que dans ce jeu mondial l’ouverture et la coopération sont payants, et bien plus rapides que le nationalisme institutionnel. C’est d’ailleurs une leçon que, dans d’autres domaines, même les industriels opérant en milieu très concurrentiel ont comprise – voir les notions d’innovation horizontale, de science ouverte, de recherche pré-compétitive. Nous espérons que si le modèle de WPRN sur le cas Covid-19 se révèle efficace, il pourra être reproduit dans d'autres domaines tels que le changement climatique, qui sont à la racine des prochaines crises – inévitables hélas. Si l’on pouvait anticiper un peu plus dans ce cas la mise en place de coopérations intersectorielles globales et déployer l’intelligence collective avant la crise plutôt que pendant, ce ne serait pas du luxe.
La mise en réseau et le partage des informations et des ressources sont les véritables nerfs de la guerre pour venir à bout de l’épidémie mais aussi de bien d’autres sujets à l’échelle de la planète. Nous travaillons dans ce sens.
La devise de Guillaume d’Orange, dit le Taciturne, était : « Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Nous entreprenons. Jusqu’ici, nous réussissons mais la tâche est immense. Nous appelons tous les gens de bonne volonté qui ont compris que cette fois on ne peut plus attendre à nous rejoindre. Enregistrer son projet dans WPRN prend 5 minutes, et c’est déjà contribuer à l’intelligence collective.
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