Genre et colonialité à l’Assemblée nationale
Conférence de Delphine Gardey (résidente 2017-2018 de l'IEA de Paris) dans le cadre du séminaire public du Cresppa-GTM « Crises du pouvoir, pouvoir des crises ». La communication sera discutée par Karima Ramdani (science politique, GTM).
Résumé
Ayant éclairé quelques-uns des « arrangements » de genre logés au cœur des institutions parlementaires françaises dans un récent ouvrage — Delphine Gardey, Le linge du Palais-Bourbon. Corps, matérialité et genre du politique à l’ère démocratique, Le Bord de l’Eau, 2015 — mon objectif consiste désormais à compliquer et approfondir ce récit par la prise en considération de la question coloniale et « raciale ». Il s’agit d’introduire une série d’autres « paramètres » afin de réfléchir à l’articulation des « différentes différences » auxquelles l’universalisme des institutions républicaines françaises s’est trouvé et se trouve confronté.
Mes recherches en cours s'intéressent à l’écart temporel entre l’intégration du corps colonisé dans le corps souverain, le corps national et politique d’un côté, et celle du corps féminin, de l’autre. Il prend donc au sérieux le fait que les chambres parlementaires, ces institutions de la démocratie, sont définies comme des « legislative bodies ». En posant la question : « qui peut représenter ? », il s’agit de conduire une analyse croisée des conditions légales et institutionnelles mais aussi concrètes (sociales et politiques), qui autorisent la présence au parlement français de « categories » telles que « les esclaves affranchis », les « libres de couleurs », les « métis », les « indigènes », ou les « autochtones », les « Noirs », les « Musulmans », et finalement, les femmes, puis les « femmes des Caraïbes » ou les « femmes musulmanes d’Algérie », ces dernières n’ayant obtenu les droits politiques qu’en 1958.
Il ne s’agit pas seulement d’écrire l’histoire complexe et croisée de l’acquisition du statut de sujet émancipé ou libre, des droits politiques et de la capacité à représenter le peuple français et à faire les lois mais aussi de revisiter la définition de l’universalisme et de la souveraineté populaire depuis la Révolution française, de comprendre ce que le « peuple », la « souveraineté » et la « nation » signifient pour les républicains, sachant que, dès 1789 et durablement, la République est aussi un empire colonial.
Présentation du séminaire
Depuis plus d’une décennie, le terme « crise » semble être omniprésent dans les discours politiques et médiatiques. Un terme polyvalent, appliqué aux situations économiques, politiques ou sociales que l’on veut faire passer pour exceptionnel. L’utilisation de « crisis labelling » par les dirigeants politiques peut apparaître comme une stratégie pour légitimer les politiques spectaculaires et les répressions contre certains groupes sociaux. Or l’analyse de la crise non pas comme état d’exception, mais comme partie intégrante de l’économie politique et des systèmes de gouvernance, est beaucoup plus ancienne. Venant du grec, ce terme évoque également le moment décisif d’un changement radical, vers la guérison ou vers le déclin. La crise, soit comme état de fait soit comme fonctionnement de pouvoir et de gouvernance politico-économique, touche une grande partie des travaux de recherche effectués au GTM. Serait-ce dans une crise de la représentation politique, la « crise des réfugié·e·s », la crise de la masculinité, du logement ou de « la famille », ou encore une précarisation des conditions de travail, nous sommes nombreuses·eux à être confronté·e·s dans nos recherches à des situations d’urgence et simultanément à une rhétorique d’urgence souvent en décalage avec la première. Saisir cette tension entre l’une et l’autre et examiner ses apports analytiques éventuels sera le fil conducteur du séminaire public de l’année 2017/18.
Dans quelle mesure une crise peut-elle représenter une chance, un changement, par exemple dans la masculinité dominante qui a souvent été analysée comme forme culturelle intégrante de l’oppression des femmes ? Est-ce le déplacement des personnes qui constitue une crise, ou plutôt l’échec des politiques européennes d’accueil ?
La « crise de la famille » révélant l’émergence de la légitimité des multiples formes de vie privée ?
En effet, il s’avère que parfois la rhétorique de la crise témoigne de changements politiques, sociaux et culturels qui sont critiqués voire attaqués en faveur d’un monde traditionnel et/ou imaginé, d’un autrefois nationaliste et familialiste.
De manière trans- et interdisciplinaire ainsi qu’en portant une sensibilité à la nature intersectionnelle des rapports sociaux analysés, les séances du séminaire public seront liées par ce questionnement sur le double caractère des crises : comprendre les dégâts et violences réels dans de nombreux champs sociaux, culturels et politiques tout en s’intéressant à la rhétorique de la crise et sa capacité de pouvoir et de légitimation de systèmes de gouvernance répressives.
Au lieu d’une conférence habituelle nous vous proposons une séance collaborative dans laquelle plusieurs membres du GTM présentent très brièvement comment cette tension entre pouvoir et crise apparaît dans leur travail de recherche.
Plus d'informations (site du Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris)
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Des corps perturbateurs ? Genre et colonialité dans les Parlements français (1793-1958) 01 février 2018 - 30 juin 2018 |
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