Quelle formation juridique aujourd’hui, et pour quel juriste ?
Rencontre animée par Marc-Olivier Padis, directeur de la revue Esprit.
En ce début de millénaire, à un moment où le droit et le monde des professions juridiques et judiciaires sont saisis par des profondes transformations qui obligent les juristes à repenser leur objet, leur savoir et leurs métiers, la question de la formation juridique resurgit immanquablement, tel le Phénix renaissant de ses cendres. Et pourtant, si la question n’est pas nouvelle – ayant scandé tout le siècle dernier, marqué par la crise du paradigme juridique moderne – il y a de bonnes raisons, aujourd’hui, pour croire que, cette fois, elle ne sera pas neutralisée, comme dans le passé, par la force d’inertie du monde académique.
D’un côté la crise radicale de ce paradigme, à l’aune duquel notre modèle d’éducation juridique a été conçu au début du XIXe siècle et, de l’autre côté, la perte récente du monopole des Universités, concurrencées – de façon pas toujours loyale – par d’autres établissements qui proposent des différentes manières d’enseigner le droit, plus proches de la legal education américaine, laissent croire que le kairós, ce dieu grec du moment propice, est finalement arrivé pour la formation juridique aussi.
Cette remise en question du modèle traditionnel d’enseignement, pour en concevoir un autre qui soit plus en phase avec les transformations évoquées et en mesure de répondre aux défis de nos sociétés de plus en plus complexes et pluralistes, voire multiculturelles, pose de multiples questions.
D’abord, quel type de juriste voulons-nous former ? Un bon technicien du droit capable, tel un ingénieur social, de construire des solutions efficaces et efficientes à des problèmes qui lui viennent de l’extérieur, selon une conception instrumentale et, donc, encore moderne de la raison juridique, ou un juriste critique et responsable, capable de penser autrement, de dévoiler les enjeux de pouvoir cachés derrière les formes juridiques et, selon la conception téléologique, pré-moderne, de la raison juridique, de s’interroger sur les questions axiologiques qui animent le droit et les discours de la cité ? Si nous visons ce second type de juriste, l’enseignement du droit doit nécessairement s’ouvrir aux autres sciences humaines et sociales, mais aussi aux sciences de la nature et à leurs méthodes. C’est le défis, bien connu, de l’interdisciplinarité qui pose, à son tour, d’autres importantes questions : quelle place faut-il donner à ces autres sciences pour que la formation des juristes évite le piège de l’éclectisme ? Et comment les enseigner ? Les juxtaposant aux matières juridiques ou les intégrant dans celles-ci ? Et, dans ce second cas, comment former ces formateurs ?
Et ensuite : quelle mission envisageons-nous pour la formation universitaire au droit ? Une formation immédiatement professionnalisante (mais pour quelle profession, au juste, vu la pluralité des métiers liés au droit aujourd’hui ?) ou une formation qui, sans négliger le côté technique du droit et laissant à des segments éducatifs successifs la tache de transmettre le savoir faire propre aux différents métiers, vise avant tout à former les futurs acteurs juridiques à un droit conçu comme un phénomène culturel, enraciné dans une histoire et dans un espace (étatique, européen, global), dans une société et dans une vie politique ?
Massimo Vogliotti, professeur de philosophie et de théorie du droit à l’Université du Piémont Oriental et résident à l’IEA de Paris (2014-2015), débat de ces questions et de bien d’autres avec Dominique Borde, avocat du cabinet international Paul Hastings, Didier Truchet, professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas (Paris II) et ancien président du Conseil national du droit (sous réserve), et Antoine Garapon, magistrat et secrétaire général de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice.
Quelle formation juridique aujourd'hui? 01 October 2014 - 30 June 2015 |
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Entretien-débat avec Massimo Vogliotti, résident à l'IEA de Paris, D. Borde (cabinet intern. Paul Hastings), D. Truchet (Conseil National du Droit et Université Panthéon-Assas) et A. Garapon (Institut des Hautes Etudes sur la Justice) |
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